John Maeda (1966) est un artiste, graphiste, enseignant et chercheur de renommée internationale. Il est actuellement Responsable Mondial de la Conception Computationnelle et de l’Inclusion chez Automattic. Il a été l’élève du graphiste Paul Rand et de la designeuse numérique Muriel Cooper au Massachusetts Institute of Technology (MIT), dont il est diplômé et où il dirige le département Aesthetics and Computing Group.

Les cinq Reactive Books de John Maeda, créés entre 1994 et 1999, restent des oeuvres majeures de l’art numérique et continuent d’inspirer les designers interactifs d’aujourd’hui. Ces livres numériques synthétisent graphiquement les modes d’interactions simples que nous pouvons avoir avec un ordinateur de bureau. Chaque tableau consultable est présenté comme un poème sur l’interaction homme machine. Les codes sources sont malheureusement obsolètes car les livres ne sont plus publiés, mais le projet reste consultable au Museum of Modern Art (MoMA) de New York sur une série d’anciens Power Macintosh, seul environnement capable de lire le programme. Il est possible d’avoir un aperçu en images de l’oeuvre sur le site de l'artiste. Si les codes sources sont aujourd’hui introuvables, l’apprentissage du code en école d’art est un bon prétexte pour faire émerger l’esprit des Reactive Books. L’Atelier de Recherche et Création Retour Aux Sources (RAS) propose de mettre à jour ce projet de John Maeda, de le réactiver, de l’augmenter et de le diffuser largement sur la toile.

The Reactive Books se décline en cinq chapitres. Chacun d’eux joue avec un des périphériques de l’ordinateur : le microphone, la souris, l’heure, le clavier et la webcam. Pour chaque chapitre, John Maeda instaure des règles de composition graphique qui lui permettent d’optimiser visuellement l’interaction.

1. The Reactive Square – 1994

Un chapitre qui comprend une série de 10 carrés interagissant à l’entrée du microphone. L’amplitude du son capté ou la fréquence reconnue influe sur l’apparence et sur les paramètres du carré affiché.

2. The Flying Letters – 1995

L’utilisateur peut jouer avec le curseur de la souris pour manipuler le corps d’un texte. John Maeda prend en compte la position du pointeur (suivi, survol, collision, orientation, vitesse, proximité, le clic). Chaque mot est incarné par l'interaction, comme un haïku visuel, il renforce le caractère poétique de l’oeuvre.

3. 12 o’clock – 1996

Se basant sur l’horloge interne de la machine, John Maeda illustre, par douze animations visuelles, le temps qui passe. C’est le seul chapitre où l’utilisateur n’intervient pas. L’auteur joue sur des modes de représentation du temps original, où les caractères digitaux de l’horloge dansent, avancent, tournent, s’accumulent …

4. Tap, type, write – 1998

L’auteur a travaillé sur le lien étroit entre le clavier et la lettre qui s’en échappe. C’est un hommage à la machine à écrire dans lequel il valorise chaque caractère de l’alphabet en fonction de la touche enfoncée. A l’écran, l’utilisateur peut réarranger la disposition d’un clavier qwerty, jouer sur un certain équilibre typographique.

5. Mirror Mirror – 1999

Ce chapitre est le retour sur écran de la webcam de l’ordinateur. L’unité de pixel permet de recomposer l’image captée selon des différences de gestions temporelles, des interprétations de couleurs, de lumières, de jeux de substitutions.

Dans un souci de mise à jour, l’équipe RAS s’est autorisée à ouvrir deux nouveaux chapitres correspondant à de nouvelles pratiques d’interactions que nous entretenons avec notre ordinateur.

6. Network

John Maeda souhaitait déjà jouer avec le réseau pour la continuité de ses Reactive Books. Ce chapitre propose d'interpréter graphiquement les données que nous pouvons trouver sur internet (base de données, API, textes …).

7. Computer Vision

Au delà de la webcam, il existe une autre couche d’interprétation du réel. Le chapitre explore les modes de lecture du corps dans l’espace grâce aux outils d’analyse vidéo ou d’apprentissage de la machine.

Si, au cours de cette année, John Maeda était au coeur de notre atelier de recherche RAS, c’est bien entendu pour ses Reactive Books, mais aussi pour sa conception inspirante qu’il a du design numérique, et de son contexte d’émergence non moins particulier.

Il envisage le design sous toutes ses formes par le prisme de la simplicité et de la complexité. Opposées mais complémentaires, ces deux notions sont, d’après lui, ce qui guide toutes les créations actuelles. Dans son livre De la simplicité, ou lors de conférences TEDx, il démontre par des exemples largement universels que la simplicité revient à vivre sa vie selon un principe évocateur : “Simplicity is about living life with more enjoyment and less pain.” Ainsi, la simplicité a un rapport direct avec la vie, car, selon Maeda, nous cherchons toujours à faciliter nos pratiques par le design. La quête de simplicité est donc au coeur de nos existences. Il nuance tout de même cette idée en ajoutant « le problème n'est pas de rendre le monde plus technologique, mais de le rendre plus humain à nouveau » car, pour lui, « la mission première du design est de trouver des solutions ». C’est bien à ces exigences et critères que le designer doit pouvoir répondre.

John Maeda met en avant la relation que les designers entretiennent avec la forme et le contenu. Là où le contenu est fixe, la forme peut nous (utilisateurs) permettre de le percevoir de différentes manières. John Maeda est donc sensible au rapport fond/forme, y compris dans le domaine du design interactif.

Son parcours a particulièrement été influencé par sa perception du design. Ayant grandi dans une fabrique familiale de tofu à Seattle, il aide et regarde ses parents travailler. Il restera longtemps marqué par la lourdeur et la complexité des machines utilisées par son père. À l’école, il a des dispositions pour les mathématiques et les arts. Il poursuivra ses études au MIT. Il y rentre au moment même où le micro ordinateur propose des outils de créations visuelles, ce qui influencera en toute logique sa carrière. En 1984, sort le tout premier Macintosh qui lui permet de croiser deux disciplines qu’il affectionne tout particulièrement : les mathématiques et l’informatique. Il rencontre Muriel Cooper, alors professeure au Media Lab du MIT, qui lui conseille de faire une école d’art après son master. C’est donc en école d’art qu’il commence réellement à s’intéresser aux capacités visuelles des ordinateurs. Ces derniers l’ont toujours intrigué. Il y fera ses premières expérimentations interactives et happenings, avec pour sujet central, l'ordinateur et ses composants, et la manière toute particulière qu’ils ont d’exécuter une tâche. C’est en effet une logique caractéristique, conditionnée par des algorithmes, que John Maeda va explorer et avec laquelle il va se familiariser pour faire des oeuvres interactives qui aujourd’hui appartiennent à l’histoire du design interactif.

Dans ses conférences, Maeda rappelle de façon récurrente, l’importance que ses “mentors” (comme il aime les appeler) ont eu dans son parcours : Paul Rand, Muriel Cooper, Inami Neomi, etc. C’est grâce à ces figures emblématiques du design qu’il a pu tout au long de sa carrière entretenir une certaine curiosité, questionner sa pratique afin de la nourrir de concepts novateurs. Dans les années 1990, lorsque les écoles d’art équipées de salles informatiques n’en faisaient pas vraiment la promotion, il démontra que le langage informatique est un outil accessible, simple et riche en capacités créatives et visuelles.

Avec les Reactive Books, John Maeda nous expose les possibilités créatrices et visuelles de l’ordinateur avec des critères et des objectifs simples, envisageables par tous quand on prend le temps de s’intéresser aux langages que propose l’ordinateur. Dans ses conférences, John Maeda prend souvent un air nostalgique et amusé quand il rappelle que les premiers ordinateurs ne faisaient rien d’autre que s’allumer et s’éteindre si l’utilisateur ne savait pas coder les logiciels dont il avait besoin. Ce “bon temps”, pour le citer, était celui d’un utilisateur actif et acteur de son propre outil.

Dans ce contexte de recherche en école d’art, le projet de restauration Reactivate Reactive Books est l’occasion de mettre en pratique cette vision de l’utilisateur actif, de l’artiste/designer profane qui se saisit d’un outil trop souvent occulté (de par sa représentation complexe) pour renouveler sa discipline.

“Art is about the people. The interaction is the main focus –not the art.” ❤️ John Maeda